Vital KAMERHE entre la primature et l’exil : des tirs croisés à l’internationalisation d’un procès opposant des piégieurs piégés

Le 24 janvier 2019, sous un soleil accablant à Kinshasa, Félix TSHISEKEDI est investi Président de la République. Malmené par un gilet pare-balles enfui sous sa veste, le fils de l’ancien opposant légendaire Etienne TSHISEKEDI WA MULUMBA, prononce son discours sous le regard attentif d’un allié devenu proche collaborateur et ami, Vital KAMERHE.
Cet architecte de l’accord de Nairobi et ancien collaborateur de Joseph KABILA est un fin connaisseur de la politique congolaise. Il maitrise aussi bien les acteurs que les événements. Il inquiète tout le monde à l’intérieur et à l’extérieur, ce qui fait de lui une cible des tirs croisés de ses détracteurs.
Le lendemain, un triangle Félix TSHISEKEDI – Joseph KABILA – Occident se dessine. Au centre de celui-ci se trouve Vital KAMERHE qui échappe à tout contrôle et qu’il faut absolument mettre en quarantaine.
D’un côté, le Président de la République Félix TSHISEKEDI sait que son allié est incontournable dans la gestion du pays étant donné son expérience et son rôle joué dans la prise du pouvoir. Il voudrait prendre ses distances avec lui mais ne souhaite tout de même pas être à la base de la séparation. Il faut trouver un bon prétexte. L’une des raisons pour lesquelles TSHISEKEDI cherchait à se débarrasser du président national de l’UNC (Union pour la Nation Congolaise), c’est l’accord CACH qui limite le mandat de ce premier à cinq ans afin de soutenir à son tour la candidature de son allié aux prochaines élections présidentielles.
De l’autre côté, le Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph KABILA voit de mauvais œil la présence de Vital KAMERHE aux côtés de Félix TSHISEKEDI. Il faut donc séparer les deux hommes pour mettre le nouveau président de la République en difficulté parce que, comme le pensent les fidèles de l’ancien Raïs, celui-ci n’a pas suffisamment d’expérience pour gérer la res publica et son parti, l’UDPS, est restée une coquille vide débauchée de tous ses cadres.
Et un peu plus loin, les États-Unis et l’Union Européenne voudraient d’une part mettre la main sur Joseph KABILA pour fragiliser sa plateforme (FCC), et d’autre part manipuler Félix TSHISEKEDI pour reposer leurs mains sur les minerais congolais pris en otage par les Chinois. La meilleure façon d’y arriver c’est de commencer d’abord par écarter Vital KAMERHE du cercle du pouvoir pour espérer avoir de l’influence sur le nouveau régime de Kinshasa. Les américains savent que Vital KAMERHE ne cautionnera pas la crucifixion de Joseph KABILA et pourrait faire avorter tous les complots à n’importe quel moment ou s’y opposer carrément.
On comprend que la RDC devenait de plus en plus un terrain de ring sur lequel se livrait une bataille silencieuse entre les perdants d’hier qui cherchaient à survivre politiquement pour les uns, à revenir faire des richesses pour les autres et à jouir pleinement du pouvoir présidentiel pour le reste. Tout cela se passe dans une totale hypocrisie et l’un attend voir KAMERHE cloué pour jeter la responsabilité sur les autres. Malheureusement, chacun va jouer le jeu de l’autre sans le savoir.
Le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) va se lancer dans des enquêtes financières n’ayant eu visiblement aucun autre but que de chercher à tout prix la tête de Vital KAMERHE. Rappelons que plusieurs observateurs jugeront les résultats de leurs enquêtes plus tendancieux et alarmants. Ces chercheurs se baseront sur les renseignements fournis par les services secrets de l’ambassade des États-Unis à Kinshasa. Pendant que la première menace de Joseph KABILA est aux États-Unis et non à l’UNC, le FCC va jouer le jeu des Occidentaux : Vital KAMERHE est arrêté sous l’initiative du FCC, ce qui constituait immédiatement une passe d’or à Félix TSHISEKEDI et aux américains. Très vite, l’UDPS qui considérait Vital KAMERHE comme un allié encombrant va aligner des juges, avocats et commentateurs pour conduire le président de l’UNC dans la morgue politique. Il faut se rassurer que tout se passe comme prévu. Le procès est ouvert et fait sa première victime quelques jours seulement après ses débuts. Un Juge disparaît miraculeusement. Au bout de la manœuvre, le Directeur de cabinet de Félix TSHISEKEDI est lourdement chargé et condamné. Tout se passe comme une lettre à la poste, personne ne comprend.
Vital KAMERHE condamné, les États-Unis ouvrent leurs champagnes. Ils n’auront aucune résistance du régime de Kinshasa à imposer leurs reformes. Désormais l’ambassadeur américain au pays de Lumumba prendra bien la place de Vital KAMERHE et même celle du premier ministre. Désormais toutes les décisions passeront par lui avant d’être exécutées. Des nouvelles mises en place sont effectuées dans la justice et dans l’armée sous son œil attentif. Le couloir est vide pour acheminer Joseph KABILA à la justice internationale mais il faut commencer par ses généraux soupçonnés d’être impliqués dans des violations graves des droits humains. Le dossier Floribert CHEBEYA renait. Il faut commencer par la queue pour mieux écraser la tête. Le Colonel Christian NGOY est arrêté et conduit à Kinshasa jambes en l’air. Plusieurs autres dossiers sont déterrés et visent violemment les anciens collaborateurs de Joseph KABILA : la gestion calamiteuse de la GECAMINE, le projet BUKANGALONZO, la question de la fibre optique, la gestion de la RVA,… ressurgissent et sèment la terreur à Kingakati.
À la présidence de la République, l’absence du surnommé pacificateur se fait remarquer par le grand public. Le train semble s’être arrêté. Les crises entre l’UDPS et le FCC se multiplient et vont jusqu’à l’éjection du vice-président de l’Assemblée Nationale Jean Marc KABUND (Secrétaire Général ai du parti présidentiel). Les discours des violences se multiplient de part et d’autre sur le terrain politique alors que les massacres des civils se poursuivent à l’Est du pays. Les tendances sécessionnistes gagnent du terrain et prennent place dans des débats publics. Plusieurs observateurs voient la RDC se diriger vers le chaos.
Au milieu de ces tempêtes, les discussions s’entament et se poursuivent sur le sort à réserver à Vital KAMERHE. Ses détracteurs sont unanimes sur une seule chose : il faut tout faire pour empêcher la mort de frapper à la porte de sa cellule. Il doit rester en vie. La question de sa mort n’est pas à l’ordre du jour parce qu’elle pourrait plonger le pays dans une crise incontrôlable et même une guerre civile nourrie par des rivalités Est-Ouest. Dans les coulisses, les capitalistes cherchent lampe à la main un élément qui conduirait à une guerre civile pour plonger le pays dans le chaos afin de mieux exploiter les minerais et parachever le plan de la balkanisation. Entre-temps, le FCC a perdu son meneur de jeu, le Ministre de la justice Célestin TUNDA YA KASENDE ; et son remplacement ne sera pas automatique. Félix TSHISEKEDI doit capitaliser l’absence d’un ministre FCC à la justice et appuyer sur l’accélérateur dans le traitement de certains dossiers brulants.
Le FCC est tombé dans un piège. Tous les signaux sont au rouge. Il faut revenir à la prison centrale de Makala pour tenter d’aplanir les divergences avec Vital KAMERHE. Le président Félix TSHISEKEDI a donné tout le pouvoir aux américains qui sont capables désormais de décider sur tout et sur tous.
De l’autre côté, le basculement de Vital KAMERHE au FCC ne sera pas la bonne nouvelle du quinquennat de Félix TSHISEKEDI. Il faut sauver ce qui peut encore l’être parce que même en prison Vital KAMERHE a un mot à dire sur l’électorat de l’Est et Felix TSHISEKEDI n’y récolterait aucune voix si le président de l’UNC croupit en prison jusqu’au bout. Il faut donc renégocier les accords de Nairobi autant que possible. Aux visites parfois secrètes s’ajoutent des coups de fils qui n’apportent aucune lumière. KAMERHE est claire : aucune négociation ne sera possible dans sa cellule. Il doit d’abord ôter sa nouvelle tenue Jaune-bleue et donc sortir de la prison.
Les américains quant à eux y vont à visage couvert. Ils feront alliance avec le vainqueur de cette bataille à une condition : Joseph KABILA ne doit pas revenir au pouvoir quelle que soit la forme qu’il prendra.
L’équation se complique dans tous les camps. Vital KAMERHE revient au centre des enjeux politiques. Avec son expérience et son tact dans la manipulation de l’opinion publique, le président de l’UNC s’est taillé une notoriété qui lui a valu le rapprochement avec certains États tels que le Canada, la Grèce et même timidement la France.
Pour arrondir les angles, le FCC est, selon certaines indiscrétions, disposé à laisser Vital KAMERHE occuper le poste de premier ministre à condition de veiller sur la sécurité judiciaire de l’ancien Raïs et celle de ses proches. À l’UDPS, le langage a changé. Le Directeur de cabinet de Félix TSHISEKEDI devrait – faire des concessions pour sortir tête haute de ce procès et – accompagner la candidature de son allié aux prochaines élections. Il faut donc lui trouver un poste qui l’honore et au besoin, par respect des accords de Nairobi, le porter à la primature.
La sincérité de Vital KAMERHE déterminera son choix et il sera le seul à connaître celui avec qui il pourra conjuguer en 2023.
Quant à la justice, l’issue du procès dépendra des accords politiques, des garanties et de la satisfaction du président Félix TSHISEKEDI.
Si aucun accord n’est trouvé, Vital KAMERHE négociera ou organisera son exil parce que sa détention à Makala ne profitera jamais au régime de Kinshasa. Tout malheur qui lui arriverait en prison serait automatiquement ajouté à l’actif de Félix TSHISEKEDI. L’homme est donc plus dangereux en prison qu’en exil.
Même si le chemin qui mène à la primature n’est pas une autoroute pour l’homme de Bukavu, il serait lui-même prêt à boire sa coupe jusqu’à la lie pour sortir par la grande porte et accéder à un poste qui lui permettra de laver sa réputation avant de cracher le venin sur son ancien allié. Faut-il être Vital KAMERHE en personne pour comprendre exactement ce qui se passe et se prépare autour du fameux dossier dit des 100 JOURS ?
La porte de la condamnation de Vital KAMERHE ne s’est pas complètement fermée parce que les américains ont compris que libre, cet homme constituerait un caillou dans leurs bottes.
Delphin MURHABAZI – Analyste